Mettre en place le tri des biodéchets et le compostage dans un établissement : le cas du projet « Retour à la terre » du collège Jeanne d’Arc (Colombes)

, par Matthieu Remblière

Récit d’expérience réalisé par Najib BENARAFA, professeur de SVT et coordinateur DD (nbenarafa@jacolombes.com)

Beaucoup d’établissements scolaires, quand ils souhaitent sensibiliser les élèves au recyclage en imposant le tri (souvent du plastique) au self, ont une approche verticale : des tables de tri sont achetées, une communication ponctuelle est réalisée et souvent le personnel de restauration vérifie, et finit parfois par trier les déchets lui-même. Quant aux restes alimentaires (en quantité effroyable), ils restent souvent un poids mort et économique pour la collectivité.

Notre établissement a fait du Développement Durable un axe majeur de son projet éducatif. Cette démarche s’appuie d’abord sur des transformations internes : à la fois des esprits et de l’organisation.
Depuis septembre 2015 un référent ou coordinateur développement durable a été nommé pour servir d’interface entre le personnel d’éducation, les élèves, la direction et de catalyseur de projets innovants liés aux enjeux durables. Depuis cette date, en plus des délégués classiques, au moins un éco-délégué est également élu dans chaque classe. Ces éco-délégués se réunissent, tous niveaux du collège confondus (idem pour le lycée), une fois par mois, sur le temps de midi avec le coordinateur développement durable, des responsables pédagogiques et, quand c’est possible, le chef d’établissement.

Le Projet Retour à la Terre mené en 2016/2017 s’est inscrit dans la continuité des projets pour lutter contre le gaspillage alimentaire menés l’année précédente. Malgré une campagne impliquant les élèves et des résultats mesurés scientifiquement (Opération Pain Total : diminution du gaspillage du pain de 20%), malgré une amélioration de la qualité des aliments servis au self après une autre action initiée par les éco-délégués, une certaine quantité de gaspillage demeurait incompressible. Même avec seulement 60g de restes dans l’assiette (contre 180g en moyenne dans les cantines françaises), avec 1300 repas servis par jour on arrivait à 78kg/jour de déchets alimentaires générés par notre seul établissement.

Dès le mois d’octobre 2016, avec les nouveaux éco-délégués fraîchement élus au collège et au lycée, nous avons préparé la SERD (semaine européenne de réduction des déchets fin novembre 2016) dans l’optique d’expérimenter le tri des biodéchets compostables par les convives du self. Cette expérimentation s’est accompagnée d’abord d’une formation des éco-délégués à l’intérêt et aux mécanismes du compostage par leur référent et des intervenants bénévoles, puis d’une grande campagne de sensibilisation sur ce thème par des interventions dans chaque classe par l’éco-délégué, des affiches, des mails et circulaires visant tous les membres de l’institution, y compris les parents d’élèves.

Pendant une semaine de la SERD, selon un calendrier basé sur le volontariat, chaque éco-délégué s’est impliqué pendant 30 minutes à aider les convives à trier les fruits les légumes et les féculents dans une poubelle spéciale, et le reste des déchets (viandes serviettes, plastiques...) dans une autre, avant de trier couverts et verre comme ils en avaient l’habitude. En plus du rôle d’acteur dans l’aide au tri, certains observaient le nouveau fonctionnement de la chaîne de débarrassage, d’autres informaient les convives avec des livrets offerts par l’Ademe ou mesuraient les quantités de restes récoltés. Une animation était également mise en place avec la présence d ’un Maître-composteur par jour sur le temps de midi en démonstration, avec son matériel, à la sortie du self. Cette animation était subventionnée à 80% par le Syctom.

Après cette expérimentation et les retours entendus lors de nouvelles réunions avec les éco-délégués un diagnostic et un plan d’action ont été mis en place.

Le tri, bien qu’accueilli favorablement, a généré beaucoup de ralentissement au moment du débarrassage, voire des embouteillages et les erreurs de tri restaient nombreuses. Les raisons de ces dysfonctionnements étaient nombreuses : un espace de débarrassage non adapté, des hésitations au moment du tri, une méconnaissance ou une indifférence sur les raisons du tri pour une minorité des convives et un trop grand nombre d’éléments à trier.

Nous avons donc agi à tous les niveaux : réorganisation de la circulation dans le self, achat de deux doubles tables de tri financées à 80% par le Syctom, limitation des éléments à trier (à part les couverts) aux seuls aliments compostés chez nous (les légumes, les fruits et les féculents). Pour mieux informer les convives, nous avons travaillé avec le responsable Sodexo du self pour incruster une petite tablette sur nos tables de tri afin d’indiquer exactement quels aliments du menu du jour pouvaient être triés. Les écrans muraux du self affichant aussi ces informations. Deux planches de bandes dessinées ont été réalisées par une éco-déléguée en rapport avec le projet Retour à la Terre puis reproduites en nombre et affichées.

Enfin, pour compléter la communication, un spot de 5 min à été tourné par 5 éco-délégués avec des smartphones pour informer avec humour le comment du pourquoi du tri. Ce spot à été diffusé dans chaque classe en cours de SVT principalement une semaine avant la mise en place des tables de tri en mars 2017.

Parallèlement à ces actions nous avons défini et aménagé un emplacement pour une plateforme de compostage. Un Maître composteur (de la société Terre de Lombrics) mandaté et financé pendant un an par le Syctom, nous a accompagné dans nos diagnostics sur les volumes de déchets à prévoir et le type de composteurs à acheter, ainsi que sur les spécificités du compostage en restauration scolaire. Des responsables départementaux du programme éco -collège des Hauts-de-Seine nous ont aussi aidé.

Des composteurs subventionnés par la Mairie de Colombes ont été livré, mais pour des questions de volumes inadaptés nous avons dû en acheter de plus gros. Une formation rapide des personnels de cuisine et de plonge a été effectuée par le maître composteur, tandis que le professeur d’agriculture et de SVT de la segpa du collège suivait une formation subventionnée de 2 jours pour devenir Guide Composteur et pouvoir assurer le suivi et la maturation du compost.

Le 27 février 2017 le tri suivi du compostage sur place des biodéchets du self a commencé. Les éco-délégués se sont encore mobilisés à raison de 30 min chacun par semaine pendant un mois sur le temps de midi pour aider les convives à trier les restes dans leurs assiettes. Un agent de la restauration scolaire à pris la responsabilité rémunérée de peser chaque jour les restes compostables récoltés pour les conduire sur un chariot vers la plateforme de compostage et les mélanger à du broyat de bois ou de feuilles mortes provenant de notre parc selon des proportions dictées par le maître composteur.

Récompenses et valorisation du projet

La plateforme de compostage a été inaugurée officiellement par Jean Jouzel (paléo-climatologue engagé, Médaille d’or du CNRS et vice-président GIEC au moment où ce groupement a reçu le prix Nobel) et le maire adjoint de Colombes.

Le projet Retour à la Terre a reçu la même année Le prix Education remis lors du Forum International de la Météo et du Climat 2017 à la Mairie de Paris par Catherine Laborde et Valérie Masson-Delmotte, et le premier prix Trophées Idées Junior (avec une dotation de 2500€) remis par un jury composé de membres du conseil départemental des Hauts-de-Seine. Pour la qualité de ses objectifs pédagogiques transversaux et son impact environnemental et économique.

Bilan pédagogique et sociétal du projet :

  • Le projet a permis de sensibiliser au compostage l’ensemble de la population d’un établissement scolaire : élèves et personnels adultes. Une action qui a donc touché plus de 2 000 élèves dont plus de 1300 demi-pensionnaires, acteurs directement du tri quotidiennement. A ces élèves s’ajoutent 1400 familles informées de l’action et plus de 200 adultes : enseignants, éducateurs, personnel de cantine, d’entretien et administratif.
  • Les éco-délégués ont été au cœur de cette sensibilisation par des interventions, la réalisation d’un spot video, d’une bande dessinée, d’affiches, des interventions à la radio du Lycée (Radio Energy Lycée), et par une aide au tri pendant plusieurs semaines près des tables de tri pour éviter les erreurs. Ils ont ainsi développé de multiples compétences grâce à cette démarche de projet.

Bilan économique

  • Cette opération est un moyen de réduire la facture d’enlèvement des ordures ménagères à venir.
  • En attendant cette taxe, sur la plateforme de Jeanne d’Arc, c’est 10,3 tonnes sur une année scolaire (36 semaines) de bio-déchets qui vont pouvoir être détournés du circuit de gestion des ordures ménagères. Le coût complet de la collecte des déchets ménagers sur le territoire des villes moyennes s’établit en moyenne à 117 euros par tonne collectée.
  • C’est donc, sur plusieurs années, des milliers d’euros que le Projet Retour à la Terre va faire économiser à la collectivité.
  • Le compost issu de cette action est un excellent amendement organique dont l’utilisation dans le parc de Jeanne d’Arc mais aussi pour les nouvelles plantations de la serre gérée par la section horticulture du collège Segpa, permettra d’éliminer l’utilisation de fertilisants ce qui génère aussi des économies.

Bilan environnemental

  • Selon un rapport du WRAP (Waste and resources action program) de 2007, chaque tonne de nourriture jetée est responsable de 4,5 tonnes de CO2 rejeté dans l’atmosphère.
  • Grâce au Projet Retour à la Terre, les 10 Tonnes écartées des ordures ménagères ne sont plus, ni collectées, ni transportées ni enfouis ou incinérés. Bien au contraire, ils sont traités sur place, évitant ainsi consommation de carburant et émission de gaz à effet de serre.
  • Le compost créé (environ 4 tonnes par an) va contribuer à améliorer le sol, à maintenir son équilibre, à nourrir les cultures dont il est le support. Il réduit aussi l’érosion du sol.

Epilogue :

On estime que 28 % des terres agricoles de la planète sont utilisées pour produire des cultures que l’on jette. Dans le même temps, 250 km3 d’eau sont gaspillés et l’empreinte carbone des aliments produits et non consommés est estimée à 3,3 gigatonnes d’équivalent CO2 (Chiffres FAO). Sachant que 33 % des sols cultivables de la planète sont dégradés, l’un des moyens les plus efficaces d’utiliser les aliments jetés est peut-être de les recycler grâce au compostage. C’est en premier lieu le sens du projet Retour à la Terre.
Avec ce projet, les élèves sont devenus des acteurs de la lutte contre le réchauffement climatique et de l’appauvrissement des sols en faisant simplement le choix de trier. Et leur action devient visible puisque les premières récoltes de compost ont été répandues cette année scolaire au bénéfice de la végétation du parc par les élèves de la Segpa horticulture. Nos déchets sont donc valorisés sur un modèle d’économie circulaire où tous les êtres vivants sont gagnants.
Pour plus de renseignements, le département des Hauts-de-Seine a réalisé une petite vidéo de notre projet (https://vimeo.com/242763087). Le projet Retour à la Terre à été pensé pour être reproductible dans tous les établissements scolaires du collège et du lycée. Les investissements financiers sont faibles et souvent subventionnés.

Les photos sont l’œuvre d’A.F.Robinet. La bande dessinée de C.Martin élève de 2° en 2017

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